Mémoire de fille – Annie Ernaux
Quatrième de couverture :
“J’ai voulu l’oublier cette fille. L’oublier vraiment, c’est-à-dire ne plus avoir envie d’écrire sur elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n’y suis jamais parvenue.”
Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux replonge dans l’été 1958, celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l’Orne. Nuit dont l’onde de choc s’est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années.
S’appuyant sur des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu’elle a été dans un va-et-vient implacable entre hier et aujourd’hui.
“Il y a des êtres qui sont submergés par la réalité des autres, leur façon de parler, de croiser les jambes, d’allumer une cigarette. Englués dans la présence des autres. Un jour, plutôt une nuit, ils sont emportés dans le désir et la volonté d’un seul Autre. Ce qu’ils pensaient être s’évanouit. Ils se dissolvent et regardent leur reflet agir, obéir, emporté dans le cours inconnu des choses. Ils sont toujours en retard sur la volonté de l’Autre. Elle a toujours un temps d’avance. Ils ne la rattrapent jamais.”
Mon avis :
Annie Ernaux est entrée sur le tard dans ma bibliothèque. J’ai lu Les années il y a quelques mois, et je compte bien maintenant lui offrir une place d’honneur sur mes étagères. Fin juin, j’ai embarqué Mémoire de fille dans ma valise pour une semaine au bord de la piscine, inspirée sûrement par le bikini de l’auteure sur la couverture.
Dans ce livre, Annie Ernaux se souvient et nous raconte l’été 58. Celui où elle a perdu sa virginité, lors d’une colonie de vacances, dans laquelle elle était employée à 18 ans. Elle revient sur cette première expérience, loin de ses parents, loin de sa ville et des conséquences de cet acte sur la suite.
Quand je lis Annie Ernaux, je pense à Philippe Besson, à Edouard Louis, à ces écritures contemporaines qui ressassent le passé. A ces écrits autobiographiques, dont les souvenirs sont si vifs. Et le rejet familial, la honte de l’éducation reçue, ou du poids de l’adolescence. Dans Mémoire de fille, l’auteure nous décrit cet été de 1958. Elle analyse, elle dissèque, près de soixante ans plus tard, ce court séjour et la rencontre avec celui qui lui fera vivre ses premiers émois. Dans sa mémoire, tout semble si net, du dégoût du milieu dont elle appartient, aux quelques heures lovée dans les bras du jeune homme.
Avec cette rétrospection, qui semble au premier abord plutôt plate et sans intérêt, se joue en réalité quelque chose de plus profond. L’écrivaine évoque, sans le nommer tout de suite, le viol. Ses souvenirs refont surface car l’acte subit le justifie. La fin de son récit vient éclaircir les non-dits.
Si j’ai pu ressentir une légère déception à la lecture de ce livre, je ne peux que reconnaître la force des mots d’Annie Ernaux et la qualité de son écriture. La construction narrative qu’elle déploie, en séparant la femme qu’elle est aujourd’hui de celle de 18 ans, apporte tant au texte. La deuxième partie perd néanmoins en puissance.
Au programme bientôt, la lecture de son roman La honte. Je vous en parlerai. Quel autre livre d’Annie Ernaux me conseillez-vous ?